Après ce long préambule nécessaire, vous aurez compris que pour les pâtissiers, la recette de la crème d’azukis est extrêmement sérieuse ! La qualité de la crème d’azuki va déterminer en grande partie le succès de la pâtisserie finale puisque, je me répète, elle est au coeur de la pâtisserie japonaise. Vous ne vous étonnerez donc pas de la relative longueur de la recette qui suit. Elle est pour moi incompressible (pour l’instant !). Une bonne crème d’azukis, ça se mérite ! Rappelez-vous Les Délices de Tokyo, l’héroïne Tokue-san (sous les traits de la très regrettée Kiki Kirin) multiplie les attentions, allant jusqu’à voir les azukis « discuter » ou « se reposer »…ce n’était, en quelque sorte, pas du cinéma : la cuisson suit des étapes bien précises !

Un processus long…mais facilement séquençable !

Si le processus est long, il n’est aucunement complexe et peut par ailleurs facilement se séquencer : après cuisson des haricots, vous pouvez laisser les macérer dans le sucre toute une nuit, voire plus, avant de finir votre crème.
Et bonne nouvelle, encore, la crème se congèle très bien, il est donc intéressant de procéder par fournée. Au réfrigérateur, vous la conserverez environ 10 jours (sauf si vous sucrez plus, j’y reviens plus loin). Il est très important de remettre à température ambiante la crème d’azukis avec morceaux avant de la consommer. Les arômes se dégagent non seulement moins quand la crème est froide, mais les grains vous paraîtront beaucoup plus durs.

Chacun sa méthode : la méthode sans trempage

La préparation de la crème d’azuki est au coeur du travail du pâtissier. Et chaque pâtissier, selon la provenance ou les caractéristiques des azukis qu’il utilise, va adopter une méthode particulière pour préparer ses crèmes et avoir sa « couleur » azuki. Ne vous étonnez donc pas de trouver diverses façons de cuire les azukis. La méthode que je vous présente ici est n’en est qu’UNE parmi d’autres (qui suivront peut-être). C’est, à quelques différences près (notamment le trempage), la recette que j’ai apprise avec Monsieur Shimizu Toshinaka, chef pâtissier de la pâtisserie Ryôguchiya à Anjô (près de Nagoya), qui m’a épaulée tout au long de mon « apprentissage » à distance.

Dans ma recette, je ne fais pas tremper les haricots. Je crois que c’est une méthode plutôt fréquente dans le Kantô (Japon de l’Est). Encore aujourd’hui, c’est la méthode qui me convient le mieux, en terme d’organisation (une envie de soudaine d’azuki cela ne se programme pas !). Aux débuts de mon aventure, à dire vrai, c’était la seule qui marchait quand je devais travailler des azukis cultivés en Chine. Après plus de 3 heures de cuisson, les haricots s’obstinaient à ne pas cuire…et d’innombrables fois, jusqu’à ce que je comprenne que la qualité, et surtout la fraîcheur des azukis, sont primordiales. Les légumineuses en vente chez nous ne comportent malheureusement aucune indication relative à l’année de récolte, les lots sont très inégaux en qualité. Je me souviens du stress à l’ouverture d’un nouveau sac de 25kg…

Les étapes-clés

Le tri des azukis, le test de cuisson, les temps de repos sont LES étapes-clés de la réussite. Sans les respecter, vous risquez de retrouver des azukis durs comme de la pierre dans votre préparation finale : un problème fréquemment rencontré avec les azukis sur le marché en Europe qui ne sont pas forcément des variétés propres à la pâtisserie.

La cuisson

Au cours de la première étape – la cuisson -, on va tout d’abord débarrasser les azukis de leur âpreté en les blanchissant à plusieurs reprises. L’odeur du bouillon est assez forte à ce stade de la cuisson, que vous fassiez tremper ou non vos azukis. Rien à voir avec les effluves sucrées qui se dégageront plus tard de votre casserole, après environ 30 min de cuisson. Les grains vont ensuite gonfler plus de 2 fois de volume : un bon critère pour évaluer l’azuki que vous utilisez. Il faudra alors vérifier régulièrement la cuisson des grains. Si la pulpe des azukis n’est pas entièrement cuite, et totalement lisse, avant l’ajout du sucre, le sucre fera barrage et les grains durciront. Après l’ajout de sucre, enfin, une longue macération assure une bonne pénétration du sucre jusqu’au coeur des azukis, et pas seulement en surface sur la peau. La crème sera plus harmonieuse et plus ample au niveau du goût.

La réduction : attention aux projections !

La préparation de la crème d’azukis ressemble en de nombreux points à la préparation d’une confiture. Comme pour une confiture, on ajoute la moitié du poids du fruit (ici les azukis cuits). Ma crème fait un peu plus de 45° brix tandis qu’au Japon, elle fait en moyenne plutôt 52°brix. Il est possible de réduire encore la quantité de sucre selon la finalité mais sachez que la texture finale et la conservation en seront altérées. Sucre blanc, sucre blond, sucre complet…à vous, bien sûr, de moduler selon vos goûts et vos convictions. J’utilise en général du sucre blond.

Les ustensiles

Si vous avez une marmite à confiture, n’hésitez pas à la sortir. Le cul de poule en cuivre, le sawari, qu’utilisent les pâtissiers japonais est relativement proche de nos marmites en cuivre. Il est cependant plus évasé. Une sauteuse à spaghettis conique peut également faire l’affaire.
Tout comme la cuisson de la confiture, celle de la crème d’azukis peut engendrer quelques risques de projection, selon la force à laquelle vous la cuisez. Il sera plus prudent, notamment la première fois, ne serait-ce que pour tester la compatibilité de vos équipements, d’avoir à portée de main une paire de gants, un vêtement avec des manches, et une paire de lunettes (de protection ou de soleil)….!

De ce point de vue, j’ai choisi la méthode qui me paraissait la plus facile à reproduire à la maison.
Les professionnels préfèrent en général, après macération, séparer le sirop d’une part, les azukis d’une autre, pour réduire le sirop et réincorporer en deux fois les azukis avant de finir la cuisson. D’autres enseignes, souvent à Kyôto, optent pour un compotage ultra doux et lent pendant des heures. La première méthode pouvant engendrer de grosses projections (les équipement des professionnels sont dotés de couvercles spéciaux … ou pas) et la deuxième étant très chronophage, ma recette est à mi-chemin entre les deux : avant d’ajouter le sucre, je vous conseille de vous débarrasser d’une partie de l’eau de cuisson (que vous buverez bien sûr ! La tisane d’azuki (dit « thé d’azuki » azuki.cha) est un aliment santé commercialisé au Japon).  Il est toutefois important de laisser un peu d’eau, au risque d’obtenir une crème d’azukis très sèche et de ne pas pouvoir faire réduire suffisamment votre crème. Procédez à feux doux, en remuant modérément,  jusqu’à ce que la crème forme une « montagne » en tombant de votre cuillère.

Si vos débuts sont laborieux, ne vous cantonnez surtout pas à un seul essai. Prenez le temps de trouver les ustensiles, la cuisson, les temps de repos qui vous convenir le mieux. Et j’espère que bientôt, vous partagerez mon addiction à la crème d’azuki !

La recette de crème d’azukis

Temps de cuisson : pré-cuisson (15mn) + cuisson (de 50mm à 1h30, selon la qualité de vos azukis)
Temps de repos : 1 heure + 5 heures ou 1 nuit

Pour 1kg500 de crème d’azukis

  • azukis 500g
  • sucre (blond) : 450g
  • une pincée de sel (facultatif)
  • un fait-tout relativement profond (les azukis vont plus que doubler de volume)
    et son couvercle

  • une marmite à confiture

  • une grande cuillère/spatule  en bois

  • (des gants, lunettes pour vous protéger des éventuelles protections)

Après complet refroidissement, transvasez votre crème d’azukis dans un récipient pour conservation au froid sans l’écraser outre mesure lors du transfert (toujours pour ne pas casser les grains d’azukis).
Conservation au réfrigérateur environ 10 jours.
À consommer à température ambiante.

  1. Vérifiez la qualité de vos azukis : éliminez les graines abîmées, desséchées, atrophiées. Les graines « non-conformes » peuvent être déclassées et être utilisées pour une crème sans morceaux !
  2. Rincez-les soigneusement à l’eau.
  3. Faites blanchir les azukis à trois reprises :
    • Mettez les azukis dans une casserole d’eau froide (les azukis doivent être recouverts d’environ 1 cm) et portez à ébulliton franche. Stoppez le feu. Placez la casserole sous le robinet d’eau froide pour refroidir brutalement les azukis. Videz une bonne partie l’eau en vous aidant du couvercle puis remplir à nouveau d’eau froide jusqu’au niveau initial. Répétez cette opération encore deux fois. (Au-delà d’un kilo d’azukis, deux fois peuvent suffire). Le but de l’opération est de se débarrasser de l’astringence de l’azuki mais aussi d’assurer une cuisson homogène (en refroidissant la peau brutalement, on laisse le temps à la chaleur de pénétrer jusqu’au coeur du haricot).
    • Recouvrez les azukis d’1 cm d’eau.
    • Porter à ébullition.
    • Arroser les azukis d’eau froide pour baisser rapidement la température.
  4. Cuisez les azukis pendant une petite heure, selon la qualité de vos azukis :
    Veillez à ajouter de l’eau (bouillante de préférence) dès que les azukis sortent la tête de l’eau. Vous pouvez couvrir et entrebailler le couvercle selon la profondeur de votre casserole.
    Après 30 min de cuisson à feu moyen-feu fort, baissez à feu doux et passez une cuillère ou spatule en bois en raclant le fond de la casserole pour éviter que la préparation n’attache. Veillez à mélanger sans excès, le but étant d’avoir le plus d’azukis entiers possibles !
    • Au fur et à mesure de la cuisson, le jus de cuisson se teinte en rouge-azuki.
    • Les azukis n’ont pas tendance à déborder pendant la cuisson. Si elle est faite à feu doux, une cuisson à couvert est tout à fait possible.
    • Après environ 40 min de cuisson, faites régulièrement un test de cuisson : prenez un haricot qui vous paraît dur d’aspect (non éclaté), plongez le dans un fond d’eau froide et écrasez-le entre votre pouce et votre index : la pulpe de l’azuki apparaît absolument lisse. Si l’aspect est encore granuleux, poursuivez la cuisson à feux doux. Le temps de cuisson varie selon la qualité de vos haricots mais également selon votre équipement.

5. Retirez du feu et laisser reposer 1 heure couvercle fermé pour parfaire la cuisson.
Puis refaites un test de cuisson, par précaution. Si vous avez un doute sur la cuisson, n’hésitez pas à reprendre la cuisson même à ce stade car c’est votre dernière chance !
Si l’eau recouvre largement les azukis, retirez du jus de cuisson jusqu’à arriver à mi-hauteur (vous pouvez bien sûr boire ce jus de cuisson ! voir dans le corps de l’article). Lors de vos premiers essais, je vous conseille d’en retirer un peu plus pour tester l’adéquation de votre matériel (marmite à confiture ou pas) au volume d’azukis que vous cuisez (par rapport au risque de projection). À la fin de la cuisson, on dit que l’azuki a multiplié sa taille par « 2,2 » fois !

6. Ajoutez le sucre et laissez reposer 5 heures dans l’idéal, au minimum 1 heure.

      • la crème d’azuki est une sorte de confiture, on ajoute environ la moitié du poids des fruits (azukis cuits)
      • Après macération, le résultat est déjà très intéressant et peut se consommer tel quel en verrine avec ou sans dangos (petites boules de farine de riz) ; les azukis égouttés peuvent être incorporés dans un laitage, sur une glace. Ils se conserveront cependant plus difficilement que s’ils étaient véritablement confis (recette à venir ?!).

7.Transvasez la préparation dans votre marmite en cuivre à confiture si vous en avez une, et faites compoter la crème à petit feu.
Attention aux éventuelles projections :
Plus vous aurez laissé de jus de cuisson avant ajout de sucre, plus les projections seront importantes. Plus votre marmite sera profonde, plus vous serez protégé des projections. Plus vous serez patient et travaillerez à feu doux, moins il y aura de protections…
Sans marmite en cuivre, vous pouvez procéder en deux temps : remuez régulièrement mais sans excès (pour ne pas faire éclater les azukis). N’hésitez pas à vous protéger (gant, lunettes).
Il faut compter un petit quart d’heure, selon le volume de jus de cuisson que vous aurez laissé. En fin de cuisson, remuez plus fréquemment, vous devez entendre la crème ‘crépiter’.
Vous pouvez incorporer une pincée de sel ou de fleur de sel, selon votre envie. Le sel relève merveilleusement bien le goût de l’azuki dans certains gâteaux (comme les manjû rustiques inaka manjû, recette à venir ?!).
La crème est prête dès qu’elle retombe de votre cuillère en bois en formant « une montagne ». Pour la crème avec morceaux en particulier, stoppez la cuisson dès un semblant de montagne, car elle va s’affermir sensiblement après refroidissement.

8. Retirez du feu et étalez immédiatement votre crème, par cuillérée régulière, sur une plaque inox ou autre support. Votre crème va ainsi refroidir de façon rapide et homogène. Dès que la crème ne laisse plus échapper de vapeur, couvrez-là d’un tissu de cuisine propre pour l’empêcher de croûter.