La crème d’azukis est à la pâtisserie japonaise, ce qu’est la crème pâtissière ou le chocolat à la pâtisserie française : une garniture de base à part entière.
Crème, pâte ou carrément confiture d’azukis…on ne sait souvent pas trop comment l’appeler. Peut-être, tout simplement, parce qu’elle se présente sous différentes formes : très ferme comme dans les daifukus (gâteaux de riz fourrés) et autres mochis (gâteaux de riz), ou extrêmement onctueuse et souple, comme dans les dorayakis (pancakes japonais fourrés) ou les taiyakis (gaufres fourrées en forme de daurade).

La comparaison avec la crème de marron

La comparaison avec le marron est souvent utilisée par les pâtissiers français. Par rapport à sa texture, certainement. Pour ma part, j’ai toujours préféré l’appeler « crème », bien que la confusion par rapport à sa composition ne soit pas très heureuse. En effet, une crème d’azukis, dans sa forme la plus classique, ne se compose que d’azukis et de sucre. Si des améliorants de texture (agar-agar, sirop de glucose) peuvent être ajoutés, en revanche, aucun arôme ne l’est (a contrario de la crème de marrons où l’on ajoute de la vanille). La saveur de l’azuki est très discrète et sa consistance très texturée, lui ouvrant ainsi de nombreux horizons en pâtisserie.

La crème de base au Japon, c’est avant tout la crème d’azukis !

Vous vous souvenez très certainement du film de Naomi Kawase Les Délices de Tokyo, qui mettait la lumière, entre autres, sur le dorayaki et plus particulièrement sur la crème d’azukis des dorayakis. En version originale, le titre du film tient en une seule syllabe : “An”.

Dans son sens le plus étroit et commun, “an” désigne la crème d’azukis. Dans un dessert japonais, l'”an”, c’est ce qui se trouve en général au coeur du gâteau, ce que l’on ne voit pas –  la garniture. L’occasion d’une belle métaphore dans le film pour parler de sens de la vie et de recherche de vérité. Mais allez traduire cela en français ?! Je compatis tout à fait avec les traducteurs, et adhère totalement avec le compromis final.
Au quotidien, toutefois, on ne parle pas d'”an” ; c’est plutôt un mot de la terminologie gastronomique, du langage pâtissiers. Tout un chacun parle plus couramment d’anko pour désigner la crème d’azukis : on ajoute au mot “an” le suffixe “ko” (litt. “enfant”), comme pour essayer d’allonger ce mot trop court et le charger d’affect. Car c’est souvent pour désigner quelque chose de petit et mignon, pour lui donner un petit supplément d’âme que l’on recourt à ce suffixe. Le terme relève plutôt du langage parlé. La crème d’azuki est si présente dans la pâtisserie japonaise, comme le riz dans sa cuisine, qu’il n’est pas très étonnant, au final, qu’elle ait un diminutif !

Les crèmes d’azukis

Il y a deux grandes sortes de crèmes d’azukis, anko : la crème avec morceaux (tsubu.an) et la crème sans morceaux (koshi.an). Au Japon, les partisans de l’un ou l’autre sont assez marqués, c’est pour cela qu’il est très fréquent que les produits existent en… deux versions !

La crème d’azukis, an, avec morceaux : avec grains « entiers » ou grains « écrasés »

Littéralement « tsubu » grains, « an » crème de garniture.
Au cours de la cuisson d’une crème avec morceaux, on prête une attention particulière à garder intacts les grains d’azukis, on tente de les cuire sans qu’ils n’éclatent. C’est la forme la plus classique de crème d’azukis et la plus facile à réaliser à la maison. On parle également d’ogura.an (crème façon ogura).

Rarement distinguées par l’homme de la rue, les professionnels distinguent souvent deux crèmes avec morceaux, selon le processus de cuisson adopté :

  • le tsubu.an (crème avec grains entiers) d’une part,
  • et le tsubushi.an (crème avec grains écrasés), d’une autre.

Le tsubu.an

Dans le premier cas (crème avec les grains entiers), on cuit les azukis dans un panier métallique (spécial pâtisserie !) pour empêcher les azukis d’éclater pendant la cuisson. Le panier est conçu avec une petite cheminée au milieu pour que les azukis puissent gentiment danser autour pendant la cuisson…

le panier de cuisson pour azukis

le panier de cuisson s’insère parfaitement dans le faitout

 

La crème obtenue ressemble à des azukis confits et est d’une élégance sans pareille. Vous n’en trouverez que dans les très grandes pâtisseries.

Crème d’azukis entiers, anko (Pâtisserie Ikkoan, Tokyo) : les grains d’azuki dainagon sont intacts.

Le tsubushi.an

Dans le deuxième processus, pour une crème à grains écrasés, les azukis sont cuits sans panier et comme ils éclatent beaucoup plus facilement pendant la cuisson, donnent une crème à mi-chemin entre la crème avec grains entiers et la crème sans morceaux. Dans son sens stricto-sensus, donc, la recette de crème avec morceaux dont vous trouvez la recette ci-après est une crème avec grains écrasés, un tsubushi.an. Dans les pâtisseries qui ne cuisent pas les azukis avec un panier, cette crème constitue la crème avec morceaux de base que l’on ne s’empêchera pas pour autant, de désigner du mot générique de …. tsubu.an! Tout est donc question du contexte…

Il faut savoir que l’enseignement de la pâtisserie traditionnelle japonaise reste encore peu institutionnalisé (le système de l’apprentissage sur le modèle de type iemoto reste la base), si bien que l’appellation des crèmes tout comme leur préparation est peu standardisée et reste souvent spécifique à chaque fabricant. Ainsi, rien n’empêche certains professeurs, par exemple, à l’Ecole de pâtisserie de Tokyo, d’appeler crème avec grains écrasés (tsubushi.an), une crème avec morceaux dont on a écrasé délicatement les grains après cuisson et refroidissement.

Fabrication d’un tsubushi.an après cuisson (Ecole de pâtisserie de Tokyo)

La crème d’azukis, anko, sans morceaux (koshi.an)

La crème sans morceaux (koshi.an) est parfois appelée en français « crème lisse », par traduction directe du japonais (litt. “koshi”, passée dans une étamine, « an » crème de garniture). En fait, il s’agit d’une crème dont on aura patiemment enlevé toutes les peaux d’azukis…et jamais d’une crème simplement passée au mixer !
C’est juste après la cuisson des azukis qu’on en retire la peau, et presque toujours, que ce soit à ma main ou à la machine, par passage dans plusieurs étamines successives. La pulpe d’azuki ainsi extraite que l’on appelle « go », est ensuite cuite avec du sucre dans une marmite en cuivre jusqu’à obtenir une consistance plus ou moins ferme, selon ce à quoi on la destine. De façon générale, on n’utilise pas la même variété d’azuki que pour la crème avec morceaux. On préfère les azukis de gros calibre pour cette dernière. Les azukis pour la crème sans morceaux sont plus petits, de nature très onctueuse et ….bien meilleur marché, aussi.
Dans sa forme authentique, la crème sans morceaux n’est pas facile à réaliser chez soi car je ne vous cache pas que le processus de retrait des peaux est non seulement assez fastidieux (!) mais il nécessite également un matériel assez spécialisé.
En effet, la finesse des mailles du tamis qui servira à la préparer détermine en partie le résultat obtenu. La plupart des maisons utilisent une maille entre 50 (0,50 mm) à 80 (0,31), et les plus grandes une maille de 100 (environ 0,25 mm). L’onctuosité de ces dernières crèmes est absolument déroutante !

la garniture du warabi-mochi de la pâtisserie Ikkoan à Tokyo : une crème d’azukis sans morceaux d’une finesse absolue et d’un mauve diaphane

Les autres crèmes (an) : une infinité de variétés !

Si lorsqu’on parle d’an ou d’anko au Japon, c’est avant tout à l’azuki que l’on pense mais ce n’est pas la seule crème de garniture. Loin de là.

Le shiro-an

Tout de suite après l’azuki, une autre légumineuse : le haricot blanc avec lequel on prépare une crème blanche (shiro.an, littéralement « an » crème « shiro » blanche). La peau étant très épaisse, on ne prépare pas, à ma connaissance, de crème avec morceaux mais uniquement des crèmes sans morceaux. Ces dernières servent bien sûr de garniture comme les crèmes d’azukis mais comme elles ont l’énorme avantage de pouvoir être facilement colorées, elles constituent l’ingrédient de base de la pâte nerikiri, une pâte très facilement modelable utilisée dans la pâtisserie de saison (les jônama-gashi).

Créations en pâte nerikiri colorée (pâtisserie de saison) par l’Association Seiyukai lors de la Foire Européenne de Strasbourg en 2012

 

Dans les plus grandes maisons, le shiro.an est confectionné avec des azukis blancs (shiro.azuki), très recherchés pour leur finesse ; ils sont très onéreux. Contrairement aux haricots ordinaires, il arrive de les trouver en crème avec morceaux, un moment gourmand très rare.

crème d’azukis blancs en dégustation…à la petite cuillère ! lors d’un passage à la pâtisserie Ryôguchiya (Anjô, Japon)

Si dans son sens premier, le mot « an » désigne la crème d’azukis, dans un sens très large, le mot « an » renvoie à une garniture en général, que ce soit dans le domaine sucré ou salé ; on parle par exemple d’ “an” pour la garniture des gyôzas.
En dehors des crèmes d’azukis et de haricots blancs, il existe un grand nombre de variétés d’ “an” car, dans l’absolu, on peut en confectionner avec toute légumineuse ou tubercule ; dans certains cas, on mélangera une proportion d’azuki ou de haricots blancs au nouvel élément pour harmoniser la texte.

En voici quelques exemples parmi d’autres :

  • crème de fèves edamame (zunda.an) : spécialité de la région de Sendai (Nord du pays), crème réalisée à partir de fèves vertes que l’on mange fréquemment en été, en apéritif ou en en-cas.
  • crème de patate douce (satsuma imo.an) : la patate douce la plus courante au Japon a la peau violette et la chair blanche. La patate douce à chair violette (murasaki.imo) est également, pour sa couleur notamment, très prisée dans les pâtisseries (on en fait même des glaces).
  • crème à base d’igname (jôyo.an)
  • crème de potimarron  (kabocha.an)
  • crème de marron (kuri.an)
  • crème au caramel (kyarameru.an) : crème de haricots blancs aromatisée au caramel.
  • crème aux oeufs (kimi.an) : crème de haricots enrichie de jaunes d’oeuf, et parfois de crème et de beurre.
  • crème de pomme de terre ou de tubercule taro (satoimo/jagaimo.an)
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